Wiham

Je n'ai pas toujours été seul chez la nourrice. Il y a quelques semaines encore, j'avais une vraie copine de littérature : Wiham.

J'avais évidemment exigé de voir son CV, pour apprécier son profil et communiquer mon avis.

Je me souviens que, dans sa lettre de motivation, la dite Wiham avait manifesté son envie d'échanger autour de Marguerite Duras avec un congénère de son âge. Pour cette raison précise, j'ai failli opposer mon refus. Je ne mange pas de ce style-là.

Mais le reste était si charmant que lorsque l'on s'est enquis de ma réponse, j'ai répondu en substance : "Un bébé de sexe féminin qui aime Maupassant, Jacques Rancière, qui ne déteste pas Michel Foucault, mérite qu'on lui pardonne quelques écarts du côté du Nouveau Roman".

C'est ainsi que Wiham a été prise et que nous avons passé quelques après-midi ensemble.

Nous avons évidemment délaissé les jouets mis à disposition par la nourrice et, plutôt de que de perdre notre temps à barbouiller sur les murs, nous l'avons employé à redéfinir quelques contours génériques : qu'est-ce qu'un bon roman ? qu'est-ce qu'une bonne poésie ? qu'est-ce qu'une bonne nouvelle ?

Hélas, il y a trois semaines Wiham est partie.

"Est patie Via", m'a dit la nourrice en se penchant vers moi.

- Quel est le motif invoqué ? ai-je demandé

- Ah bah est patie grande maison !" m'a-t-elle répondu avec des gestes démonstratifs.

Je n'ai rien réparti. J'ai ravalé ma peine pour moi. Wiham s'en est allée. Mes parents ont néammoins son adresse et je pourrai lui écrire bientôt.